Pêcheurs confinés, rivières en danger ?

Revue de Presse : presque 60 jours de confinement et des dizaines de signalements auprès des services compétents concernant des atteintes envers les milieux aquatiques. Entre surproduction de lait, problème de stockage des lisiers, déversement de matières polluantes industrielles, dépôts de déchets dans la nature et autres cas de « curages sauvages », il n’y a pas que le COVID qui a fait des ravages.

En temps normal, des milliers d’yeux veillent sur les milieux aquatiques et ce sont d’abord ceux des pêcheurs. L’appel de l’eau étant plus fort qu’eux, certains ont bravé le confinement pour veiller au grain quand les agents de la Police de l’environnement tournaient en effectif restreint. Il est bien triste de constater que lors du confinement de très nombreux cours d’eau ont subi les assauts de quelques personnes inconscientes ou malveillantes.

Cette situation était prévisible.

L’adage « pas vu pas pris » n’avait jamais été aussi vrai. Demander aux gens de respecter le confinement et en même temps lever des restrictions environnementales concernant l’épandage de produits phytosanitaires, c’est symptomatique d’une société qui tient à sauver les apparences en oubliant de soigner les maux qui tuent notre planète à petit feu. Ce qui était trop visible lorsque nous étions libres de circuler, avait fini par être « régularisé ». Retrouvez un article du journal Le Monde sur ce sujet (ici).

Plus personne dehors, pas de problème, on reprend les mauvaises habitudes avec l’approbation du ministre de l’agriculture. C’est vrai que par endroit la Nature avait commencé à reprendre ses droits pendant cette parenthèse de deux mois. Il y a d’ailleurs eu quelques reportages de chaînes télé avec des journalistes émerveillés par le chant des oiseaux ou de la visite d’un sanglier sur la Croisette, volant la vedette aux stars de cinéma privées de festival de Cannes cette année. Privés de cannes également, la plupart des pêcheurs de loisir ont fait preuve d’imagination pour ne pas perdre le fil de leur passion. A travers les photos souvenirs de belles parties de pêche partagées sur les réseaux sociaux, entre les « lives » animés par une poignée « d’animateurs halieutiques », on pouvait aussi voir une actualité bien moins plaisante.

« Bretagne : pendant le confinement la pollution des rivières continue de plus belle »

Le 4 avril en Bretagne, France 3 accorde la parole au Président de la fédération pour la pêche et la protection des milieux aquatiques d’Ille-et-Vilaine qui sans faire « d’agribashing » s’inquiète beaucoup du nombre de problèmes engendrés notamment par des épandages ou déversements de lisiers dans son département avec des mortalités de poissons constatées. Ce représentant élu du milieu de la pêche associative a le courage de désigner « les mauvaises pratiques agricoles » comme principales responsables de la dégradation de la qualité de l’eau. France 3 précise dans son article qu’en Bretagne « 80% de l’eau potable provient des cours d’eau ». Alors les pêcheurs ne sont-ils bons qu’à ennuyer les poissons ?

A l’Est rien de nouveau ! Les rivières souffrent toujours…

C’est en se rendant sur le site de l’association SOS Loue que l’on peut se rendre compte à quel point le mal est profond. Depuis plus de 10 ans maintenant, la Loue fait partie de la longue liste des rivières de pêche « mythiques » en sursis. Plusieurs vagues de mortalité piscicoles ont été constatées sur plusieurs rivières franc-comtoises dont la Loue, le Doubs, le Dessoubre et la Bienne. Il n’y a qu’à jeter un œil sur le site de l’association ou sur son compte Facebook pour se rendre compte de l’ampleur des dégâts. Relayant quasi quotidiennement des photos ou des messages d’autres pages ou d’articles de presse au sujet des dégradations de milieux naturels, l’association a mis en place une cartographie pour suivre différents points sur des cours d’eau à travers un réseau d’observateurs volontaires.

« Les sentinelles de nos rivières », comme l’association les désigne, sont amenées à se rendre régulièrement au bord de l’eau pour donner des indications sur l’évolution des « stations » de suivi, souvent à proximité de sources de pollutions potentielles. Je vous invite à découvrir les travaux de SOS Loue sur leur site et notamment un article sur la véritable incidence des lisiers sur la dégradation de la qualité des rivières (article).

Terrible pollution sur l’Escaut, les pêcheurs en 1ère ligne.

[Alerte Pollution canal de l'Escaut] 🐟Amis pêcheurs, 👋Vous avez été nombreux à nous signaler une pollution du canal…

Publiée par Fédération de pêche 59 sur Jeudi 16 avril 2020

A travers sa communication, la FDAAPPMA du Nord met en exergue la capacité des pêcheurs à signaler les mortalités massives des poissons asphyxiés. Jusqu’en Wallonie, les pêcheurs ont suivi les mortalités piscicoles qui semblent avoir été provoquées par une seule et même pollution. A lire l’article du journal Belge Le Soir  » Pollution: la quasi-totalité des poissons morts sur le cours wallon de l’Escaut ». Près de 80 km de rivière impactés par cet incident.

Pollution de l’Escaut, « plus gros incident écologique depuis 20 ans » titrait le 20 Minutes

Les journalistes de la presse « grand public » ont toujours le don de trouver des titres sensationnels. A la lecture du titre du 20 Minutes j’avais envie de dire « Quoi ? Encore une » ! Mais je n’étais malheureusement pas surpris.

Dans la nuit du 9 au 10 avril, l’Escaut (fleuve franco-belge) a été en partie ravagé par une pollution sans précédent. A l’origine de cette catastrophe, une grosse sucrerie dont la digue d’un bassin de décantation a cédé libérant une importante quantité d’eau de lavage de betterave concentrée en matière organique dans l’Escaut. Privant d’oxygène les organismes aquatiques sur plusieurs kilomètres, cette eau polluée a engendré la mort de plusieurs milliers de poissons par asphyxie. Une enquête est menée pour comprendre les causes de cette pollution probablement accidentelle. L’ampleur du désastre a donné lieu à de nombreux articles disponibles en ligne.

Et le braconnage des poissons migrateurs ?

Pas de répit pour les saumons et les civelles ou pibales (alevins d’anguilles) : entre braconniers opportunistes ou trafic organisé, les gardes de l’Office Français de la Biodiversité (OFB) se sont organisés pour veiller au grain (surveillance du braconnage) ! On peut tout à fait déplorer dans certains cas que la Police de l’environnement manque de réactivité sur des pollutions, mais il y a une vraie volonté d’agir sur des sujets aussi sensibles que la protection des poissons migrateurs. En Aquitaine, en Bretagne, dans la vallée du Rhône ou encore sur le cours de la Loire, des actes de braconnage se produisent chaque année au moment où les poissons migrateurs remontent les grandes rivières. Aloses, saumons et jeunes anguilles sont régulièrement pêchés illégalement par des braconniers qui profitent de la présence des ouvrages (barrages, digues, écluses) pour se servir.

Pendant le confinement ces actes de braconnage ne sont pas arrêtés. Sans les pêcheurs sportifs ou de loisir pour assurer une veille active sur les espèces migratrices, il est fort probable que les mauvaises habitudes de quelques personnes aient coûté la vie à de précieux poissons dont la valeur économique sera toujours inférieure à leur valeur environnementale. Nous pouvons faire un parallèle avec les origines de COVID-19 qui découleraient des actes de braconnages du pangolin et se demander quand un virus se développera chez les civelles ou les saumons pour que leur consommation soit interdite ! Je vous invite à visiter le site de l’OFB sur lequel il y a différents articles au sujets des poissons migrateurs (article).

A quand une médaille du Mérite environnemental ?

Pour finir cet article sur une note positive, je tiens à souligner qu’avec les réseaux sociaux, les pilleurs, pollueurs, amis des moulins (comprenez barrages) ou ceux qui ont le coup de godet facile sont de moins en moins anonymes et c’est tant mieux ! Même si le confinement n’a pas permis de tout surveiller, de très nombreuses photos et vidéos ont circulé dans des groupes de discussion, dans les fils d’actualité et cela a souvent donné lieu à des articles de journaux locaux ou de France 3 Région.

Il est aujourd’hui plus facile de faire circuler les informations sur les exactions commises à l’encontre des milieux naturels ou des espèces protégées. Les héros d’un jour qui risquent leur vie pour sauver celle d’un enfant qui risque de chuter d’un balcon sont parfois récompensés. Pourquoi n’en est-il pas de même pour toutes les personnes qui mènent des actions quotidiennes favorables à la sauvegarde de notre planète ? Puisqu’il existe une médaille du Mérite Agricole, je suggère au gouvernement de créer une médaille du mérite Environnemental !

Florian CARAVEO

Pêcheurs et milieux : l’alchimie halieutique

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