L’halieutisme, la politique de gestion des milieux aquatiques et des espèces piscicoles suscitent des débats passionnés chez les pêcheurs. Bien que les expériences et opinions de chacun puissent alimenter les discussions, il existe des limites physiques ou biologiques. Voici les explications d’un ex chargé de mission de fédération de pêche et de protection des milieux aquatiques.
De la théorie à la pratique :
Ayant suivi un cursus dans l‘enseignement dans le domaine agricole, je me suis orienté vers la gestion et la protection des milieux naturels. C’est au cours de stages à la Fédération pour la Pêche et la Protection de Milieux Aquatiques (FDAAPPMA) de Savoie que je me suis spécialisé. Je ne remercierai jamais assez Manuel Vallat de m’avoir ouvert les yeux sur des réalités. Manu est de nature plutôt discrète mais c’est à mon sens un grand professionnel en matière de gestion et protection des milieux aquatiques.
J’ai ensuite exercé la fonction de chargé d’étude pendant cinq ans à la FDAAPPMA de la Lozère aux côtés de Valérie Prouha. Valérie et mes anciens collègues m’ont épaulé dans diverses missions. Pêches électriques, Indices Biotiques, inventaires aquatiques, aménagement de cours d’eau, Natura 2000, accompagnement des projets halieutiques, c’était très enrichissant.
Qu’est-ce que l’halieutisme ?
On peut trouver différentes définitions de l’halieutisme. Ce terme est principalement utilisé pour désigner des actions ou politiques visant à favoriser la pratique de la pêche de loisir. Comprenez bien que cette activité récréative ne se pratique pas de la même manière en mer qu’en lac ou en rivière. En plus de la diversité des milieux, il faut composer avec les différentes espèces piscicoles tout en tenant compte des attentes des pêcheurs. L’halieutisme n’est pas un gros mot pour les gestionnaires. Favoriser la présence des poissons peut passer par des actions bénéfiques pour les milieux aquatiques. L’halieutisme qui consiste à satisfaire les pêcheurs sans tenir compte du potentiel des milieux, coûte très cher en empoissonnement.
Sans halieutisme, aucun de ces poissons ne serait présent dans cet article ! La truite fario du Lac Serpent est issue d’alevinages par hélicoptère. L’omble de fontaine est un poisson originaire d’Amérique du nord et implanté dans les ruisseaux d’altitude. La truite arc-en-ciel est également originaire d’Amérique du Nord et a été introduite avec succès dans certaines rivières européennes. Les pêcheurs se réjouissent de pouvoir pêcher des sites variés et différentes espèces. Un naturaliste s’interrogera sur l’incidence de ces expériences halieutiques sur les espèces endémiques.
Qui impulse la politique halieutique ?
En France, les pêcheurs adhèrent à une Association Agréée pour la Pêche et la Protection des Milieux Aquatiques et leurs actions au sein de cette association peuvent se traduire par la mise en œuvre de projets halieutiques. Les fédérations départementales des AAPPMA’s ont pour vocation d’établir un Plan Départemental Piscicole de Gestion (PDGP) qui se base sur la “fonctionnalité” des milieux aquatiques. Le personnel qualifié des FDAAPPMAs réalise les évaluations de terrain et actualise régulièrement les données. Les inventaires piscicoles (pêches électriques scientifiques) complètent ce travail de terrain.
Zonation piscicole
La zonation piscicole
Il est possible de définir une politique halieutique en fonction du potentiel piscicole des rivières relatif à un un « niveau typologique ». Ce potentiel est dépendant de l’état de “fonctionnalité” de chaque tronçon de cours d’eau. Les résultats de pêches électriques sont comparés à des peuplements théoriques calés sur le niveau « typologique » de chaque tronçon. Si le peuplement piscicole et l’abondance diffèrent peu du niveau théorique, le tronçon est jugé conforme et fonctionnel. Le dialogue entre les équipes techniques et les élus qui donne lieu à la mise en œuvre d’actions halieutiques. Les objectifs peuvent être multiples et compatibles avec la préservation des espèces endémiques (et il vaut mieux !).
Les réseaux hydrographiques des départements et régions constituent de multiples tronçons de typologies diverses et au potentiel halieutique variable. En fonction de leur potentiel, ces tronçons peuvent faire l’objet d’aménagements et de gestions particulières pour diversifier “l’offre halieutique” du territoire. Chaque fédération départementale de pêche et de protection des milieux aquatiques a vocation à favoriser la pratique de la pêche de loisir. C’est en trouvant les meilleures combinaisons “potentiel et gestion” que les associations améliorent l’offre pêche en suscitant l’intérêt des pêcheurs. Et comme tous les pêcheurs n’ont pas les mêmes attentes, l’offre halieutique doit tenir compte des différentes sensibilités pour satisfaire le plus grand nombre de pratiquants.
Avec plus de 1,5 Millions de pêcheurs détenteurs de carte de pêche en 2017, la France est un pays qui présentent de multiples contextes piscicoles où chacun de ces pratiquants peut trouver son bonheur. Néanmoins, chaque pratiquant a son avis sur ce qu’il faut faire pour qu’il y ait plus de poissons ! Et comme pour l’équipe de France de foot, tout le monde a un avis sans avoir la capacité d’en assurer la gestion. La FNPF donne les grandes lignes dans ce document.
Le Schéma Départemental de Valorisation des Milieux Aquatiques :
En principe, c’est un document établi sur la base du potentiel piscicole de chaque tronçon de cours d’eau et des plans d’eau. En fonction des mesures de gestion préconisées par le PDGP, les FDAAPPMAs et AAPPMAs peuvent mettre en place des actions en faveur de la pratique de la pêche de loisir. Bien entendu, il faut veiller au respect du cycle biologique des espèces aquatiques. Un dispositif halieutique, tel qu’un parcours de pêche avec prélèvement autorisé de poisson, doit bénéficier d’une réglementation adaptée. Cette réglementation doit généralement tenir compte de la biologie des espèces pour leur permettre de se reproduire et de perdurer.
Quand la gestion piscicole est alignée au potentiel piscicole d’un cours d’eau, la pêche de loisir se pratique logiquement dans les meilleures conditions.
Cas pratique :
Comme je l’ai présenté précédemment, la gestion piscicole est logiquement le fruit du travail d’inventaire de terrain.
Un tronçon de cours d’eau est classé comme “conforme” et la population piscicole de l’espèce repère (exemple : truite) est bien structurée. Si l’abondance de l’espèce est conforme à la capacité d’accueil du milieu et que toutes les classes d’âges sont présentes, cela signifie que la truite parvient à accomplir son cycle biologique au sein du tronçon étudié.
La préconisation du PDPG est la suivante : Gestion patrimoniale
Les élus de l’AAPPMA, qui détient les baux de pêche sur ce tronçon, contestent les données fournies par l’équipe technique de la fédération. “La pêche électrique a été faite en amont de la ville mais on le sait, dans la ville, les pêcheurs ne prennent plus de truites. Il faut en mettre plus !”. (Je ne fais ici aucune allusion à des expériences passées).
Si on s’en tient au discours des élus, il est probable que l’on ne prenne en compte que de “dires de pêcheurs” aussi expérimentés soient-ils. D’un point de vue scientifique, les appréciations de terrain sans méthode d’évaluation objective n’ont pas de grande valeur. D’un point de vue politique, entendre des pêcheurs se plaindre du “manque de poisson”, c’est une alerte. On comprend bien que des élus puissent se soucier de la satisfaction des pêcheurs et de la santé des milieux aquatiques (ou l’inverse).
Dans cette situation, il y a plusieurs options :
- L’enquête pêcheur : c’est une étude de terrain qui évalue la satisfaction des pêcheurs. Le biais de cette méthode étant la non exhaustivité des pêcheurs. Selon la technique, le niveau de pratique et l’occurrence de pêche, les résultats des pêcheurs peuvent être très différents. C’est le point faible de cette possibilité mais les indications données par les pêcheurs peuvent être intéressantes. Les carnets de captures bien remplis peuvent apporter de précieuses indications.
- L’option scientifique avec pêche électrique est plus objective mais plus lourde. Une pêche électrique de contrôle peut être organisée selon la taille de la rivière. Une équipe procède à une pêche électrique, même avec un système léger, pour vérifier à minima la structure du peuplement piscicole. En impliquant les pêcheurs dans cette démarche, une AAPPMA leur permet de constater par eux même ce qu’il y a vraiment dans la rivière. Certes, ce n’est pas toujours probant. Une fois les chiffres enregistrés et les abondances calculées, les données peuvent être comparées à d’autres pêches électriques.
Abondance de poissons VS capturabilité :
Il y a en France et dans le monde des rivières très riches en poisson et pourtant, les pêcheurs s’y cassent souvent les dents. L’exemple que je cite souvent c’est la Vis. La rivière est en très bon état écologique et l’abondance de truite est supérieure à 200 kg/ha. En fonction des conditions hydrologiques et de la météo, il n’est pas rare de voir d’excellents pêcheurs rentrer “capot”. A l’inverse, il y a des exemples de rivières où la densité est comparable à celle de la Vis et où ces mêmes pêcheurs enregistrent régulièrement de jolies pêches (l’Orb par exemple). La différence entre ces rivières c’est le comportement du poisson. Même si sur ces deux rivières, les truites sont de souche méditerranéenne, le comportement des poissons est assez différent.
Sur la Vis, la pression de pêche est moyenne, les poissons nombreux mais très farouches Sur la Test, les poissons sont visibles et restent prenables même si la pression de pêche est quotidienne
La capturabilité des poissons est une variable qui peut biaiser le jugement même des meilleurs pêcheurs. Dans mon métier précédent, j’étais parfois déconcerté par le discours de personnes qualifiées de “bons pêcheurs”. “Cela fait trente ans que je pêche cette rivière et je vous dis qu’il n’y a plus de poisson”. En tant que compétiteur, j’ai aussi connu des manches difficiles lors de championnats où je n’ai pas réussi à trouver l’astuce pour prendre les poissons. Et pourtant, les chiffres des pêches électriques ne mentent pas, je pêchais des secteurs “blindés de poissons”.
J’ai essayé de faire des évaluations de capturabilité en comparant des données de pêches électriques avec celles des compétiteurs lors de compétitions. Les biais sont nombreux ! La météo, l’hydrologie, l’accoutumance des poissons à certains appâts sont autant variables à considérer. Donc même si les secteurs de pêche sont très poissonneux et les pêcheurs excellents, la capturabilité des poissons n’est en rien une notion facile à évaluer à un instant « T ». François Albrecht (qui était président de l’AAPPMA du Pont de Montvert) nous avions pu évaluer qu’un pêcheur prenait entre 15 et 20 truites de toutes tailles par sortie de pêche. Il disposait de carnets de captures parfaitement remplis par les pêcheurs qui fréquentaient le parcours No-Kill Mouche de la plaine du Tarn.
Ce parcours étant en très bon état écologique et très favorable à la présence des truites avec de nombreux postes.
L’introspection du pêcheur :
Est-ce que le ressenti de pêche peut donner une réelle indication sur l’abondance de poisson ? Un gestionnaire doit-il absolument tenir compte des dires de pêcheurs pour définir sa politique halieutique ? A ces deux questions, un pêcheur peut répondre hâtivement “OUI”. Un scientifique pourrait répondre aussi hâtivement “NON”. Un politique adaptera sa réponse en fonction de l’auditoire ! En tant que pêcheur et ayant suivi un cursus scientifique avec des cours d’hydrobiologie, j’ai plutôt tendance à dire que c’est au gestionnaire d’éduquer les pêcheurs.
Lorsque le pêcheur achète sa carte de pêche par Internet, personne ne lui communique un minimum d’informations sur la manière dont sont gérés les baux de pêche de l’AAPPMA locale. S’il reçoit un document édité par la fédération de son département, il connaîtra à minima la réglementation. Or, la base de la gestion des populations piscicoles ne peut pas se résumer à la réglementation.
Même la plus restrictive des réglementations en matière de prélèvement (réserve de pêche) ne peut sauver les poissons si la rivière souffre de fortes variations de débit ou de qualité d’eau. Dans la tête de certains pêcheurs, le No-Kill est un dispositif halieutique censé permettre à un tronçon de rivière d’exprimer tout son potentiel. Dans les faits, ce dispositif aura une incidence sur la structure de population de poisson. A la condition que le milieu le permette…
Secteur No-Kill sur une rivière de montagne en 1ère catégorie Parcours No-Kill à la Réunion sur le Langevin en 2ème catégorie
Il existe des parcours No-Kill sur des secteurs qui se réchauffent fortement en été (avec des températures supérieures à 20°C). Ce sont de bons secteurs de grossissement pour les truites mais pas pour la reproduction. Le recrutement de jeunes individus sera conditionné par la résistance des alevins et jeunes truites aux fluctuations thermiques (lire ce document). La plus value halieutique de ces parcours de pêche est la présence de gros poissons au détriment du nombre d’individus. Sans réglementation spécifique, les gros individus pourraient être prélevés sans que cela dynamise la population de jeunes poissons. Le facteur limitant étant la température.
No-Kill VS Parcours avec prélèvements autorisés.
Dans un contexte piscicole comparable, un tronçon de rivière est placé en No-Kill et un autre est autorisé aux prélèvements de poissons ayant accompli au moins une reproduction (ce que permet la loi au sujet de la truite commune).
Si aucune perturbation du milieu n’a impacté la population piscicole au cours des 3 dernières années, le parcours No-kill est logiquement saturé. Dans ce contexte, les poissons grossissent avec pour limite la capacité d’accueil de la rivière. Si le milieu est productif est diversifié, il est possible que la densité de “gros poissons” soit supérieure à celle du parcours avec prélèvement. Or, si le milieu est pauvre et que les habitats sont relativement homogènes, l’effet supposé du No-Kill risque d’être limité par le potentiel du milieu.
Voici une analyse que j’ai pu réaliser à partir de données de pêche électriques sur des cours d’eau de moyenne montagne (entre 400 et 600 m d’altitude). Pour des raisons de confidentialité des données je ne vais révéler que la synthèse et quelques chiffres clés. Les peuplements de truites échantillonnés sont accompagnés par d’autres espèces (vairons, chabots, goujons et loches franches). Ne disposant pas des données pondérables, je n’ai pas pu faire un comparatif des abondances en kg/Ha. Cette présentation se veut pédagogique et ne peut faire office de vérité absolue. Il serait intéressant qu’un travail plus exhaustif soit mené avec un échantillonnage plus important.
J’ai réalisé ce graphique comparatif à partir de 15 pêches électriques (8 en parcours avec prélèvements avec 1400 truites et 7 en parcours No-Kill avec 1100 truites). En fonction de la taille des truites recensées, nous classons les individus par classe d’âge estimée. Ce classement donne une bonne idée de la proportion d’individus matures et de juvéniles. La classe d’âge 2+ correspond aux poissons qui devraient se reproduire pour la première fois. Si la taille légale de capture est mal évaluée, ces individus peuvent déjà faire l’objet de prélèvements.
1°) Parcours avec prélèvements : la structuration des populations est plus favorable à la présence de jeunes individus (de moins de 3 années). Environ 78% des individus recensés hors No-kill sont immatures et 22% se sont reproduits au moins une fois. Toutes les classes d’ages sont représentées ce qui assure la pérennité de la population de truites néanmoins moins de 10% des individus ont effectués 2 reproductions ou plus. La densité moyenne de truites avoisine 3 individus pour 10 m² selon les populations échantillonnées.
2°) Parcours No-Kill : La proportion d’alevin 0+ est moins importante en raison d’une concurrence intraspécifique potentiellement plus importante. Les juvéniles sont présents à hauteur d’environ 65% du peuplement de truite. Les individus de plus de 3 étés (3+ et 4+) représentent environ 35%. Cette proportion est supérieure à celle observée dans le 1er cas en raison de l’absence de prélèvement. Ceci étant, la densité numérique est légèrement inférieure avec environ 2 individus pour 10 m².
En bref : en dehors des secteurs No-Kill, les poissons juvéniles sont plus nombreux parce que la densité d’individus adultes est sujette aux prélèvements. En supprimant des individus adulte, des caches sont disponibles et la prédation par les poissons adultes est moins importante sur les alevins. Mais il y a une grande différence de proportion entre la classe d’âge 0+ et les individus de plus de 4+ (7 à 8 alevins pour 1 poisson de plus de 4 ans ). Dans les parcours No-kill, la population de truite se répartit de manière plus homogène (si l’habitat est diversifié).
La capacité d’accueil est une limite :
Dans une rivière diversifiée, en bonne santé et où le prélèvement est raisonnablement pratiqué, le nombre de truites peut être supérieur à un parcours No-kill et les “gros poissons” peuvent également s’y trouver. Cela s’explique à la fois par l’effet de densité dépendance. Historiquement le Conseil Supérieur de la Pêche montrait qu’une population de truite pouvait être « dopée » par les prélèvements. Il s’agit du phénomène de « Densité dépendance« . En raison de la libération d’une place dans le milieu, une ou plusieurs jeunes truites peuvent trouver le gîte et le couvert. C’est un phénomène naturel. Nous évaluons la productivité d’un tronçon de rivière en kilogramme/hectare de rivière. Que le milieu produise 200 kilos de petites truites ou 200 kilos de grosses truites, sa capacité maximale sera toujours de 200 kilos/ha.
Pour comprendre ce qu’est la capacité d’accueil, imaginez une maison de plein pieds de 100 m² où peuvent vivre 4 personnes. A côté, un immeuble de 3 étages est construit avec la même emprise au sol : 100 m². Dans cet immeuble 3 appartements sont créés pour accueillir 3 x 4 personnes. Donc avec la même surface de départ, un habitat peut recevoir 3 fois plus d’habitants que l’autre.
Si en raison de la pression de pêche, les gros individus sont systématiquement prélevés, ce sont les petits poissons ou les moyens qui seront principalement présents en nombre.
Si les prélèvements s’orientent essentiellement sur des poissons moyens, logiquement plus nombreux, les petits poissons seront très nombreux et les gros poissons bien présents. Mais, il faut que les milieux soient adaptés à ce mode de gestion.
Dans une réserve ou un parcours No-Kill, l’effet de densité dépendance sera moindre mais les habitats conditionnent la structuration de la population. Si les facteurs abiotiques ne sont pas favorables au grossissement des truites, l’âge moyen des poissons sera supérieur sans qu’ils atteignent des tailles records. Pour qu’il y ait de gros poissons, il faut des conditions favorables à leur croissance (température moyenne annuelle, taux de calcium, habitats,…).
Truite de la plaine du Tarn en Lozère Truite du Tarn en Aveyron
Ces deux photos ont été prise sur le Tarn ! Une à quelques kilomètres de la source et l’autre en 2ème catégorie. Au niveau des sources du Tarn, une truite peut mettre 5 ans pour atteindre 25 cm. Dans les gorges du Tarn sur le tronçon Lozère/Aveyron, une truite mettra entre 2 et 3 ans pour mesurer 25 cm.
Potentiel halieutique et gestion piscicole :
On en revient à l’origine de cet article. Comme plusieurs personnes m’ont fait part de leurs réflexions autour d’articles très relayés sur les réseaux sociaux, je me prête à cet exercice pédagogique.
Ci-dessous un exemple de perturbation que l’on peut retrouver sur des cours d’eau suite à des coupes de bois ou des travaux en bord de cours d’eau. Initialement la rivière est très favorable à la présence des truites, les habitats sont diversifiés et de nombreuses caches sont disponibles. La densité de truite est maximale et toutes les classes d’âge sont représentés (avec No-Kill ou sans No-Kill).
Suite à des travaux forestiers sur le bassin versant, d’importantes quantités de sable sont transportées dans les affluents et le cours d’eau principal. De nombreuses caches se retrouvent recouvertes par le sable et deviennent indisponibles. Dans ce contexte, la densité de truite diminue puisque la capacité d’accueil est diminuée par l’ensablement. Le potentiel halieutique est donc affaibli par une dégradation de l’habitat. Lâcher des truites dans ce contexte ne réglera pas le problème de dégradation du milieu. Cela satisfera peut-être des pêcheurs pendant quelques jours mais cela n’aura pas d’effet à long terme.
La dégradation du milieu peut priver les poissons de frayères, de zones refuges ou de nourriture. Lorsque les causes sont identifiées, il peut y avoir des interventions pour rétablir un état écologique conforme. Les dégradations peuvent être compensées par des aménagements ou des travaux (amélioration des pratiques sylvicoles). Les bénéfices pour les poissons, à moyen et long terme, sont plus intéressants qu’un soutien artificiel de la population piscicole. Néanmoins, l’halieutisme est aussi basé sur le soutien de population piscicole dans des contextes dégradés. Sans réelles perspectives d’amélioration du milieu, les empoissonnements restent un recours pour maintenir une population piscicole en place. Il faut savoir quel est l’objectif que l’on peut se fixer.
Débits artificialisés et cloisonnement des populations Pollutions chroniques (industrielles, agricoles et urbaines) Artificialisation du lit mineur
Les milieux “dégradés” peuvent rester intéressants à pêcher tant que les poissons y sont présents quelle que soit leur origine. Les empoissonnements ont le mérite de maintenir l’activité de pêche et de garder le lien entre les pêcheurs et une rivière qui a besoin de ses premiers gardiens. Face aux altérations des milieux, seuls des passionnés auront le courage et l’envie de faire valoir les droits des rivières à rester libres et à l’eau de rester propre. Le combat est bien là. Et tant que les pêcheurs se querellent au sujet de la politique de l’hameçon, d’autres continuent de détruire le patrimoine naturel de nos rivières. Gagner quelques centimètres d’eau en plus dans la rivière à plus de bénéfices pour les truites qu’augmenter la taille légale de capture. C’est tout l’enjeu de la conservation des débits naturels des rivières. Moins d’eau signifie une diminution de la capacité d’accueil, une plus grandes sensibilité du milieu aux pollution et aux variations de températures (Lisez et agissez avec l’Hydromanifeste).
Et la gestion patrimoniale dans tout ça ?
Dans un contexte qui permet à une ou plusieurs espèces piscicoles d’accomplir leur cycle biologique, il est préconisé d’accompagner les populations naturelles. Cela est possible sans intervenir avec des empoissonnements. Il faut intervenir en favorisant la présence naturelle de poissons à travers des mesures de gestion visant à préserver les habitats. Et les pêcheurs peuvent tout à fait trouver leur bonheur quand un milieu est renaturé. Mais il faut accepter qu’un milieu ne puisse pas accueillir toutes les espèces dont les pêcheurs rêvent. De même, l’abondance naturelle de gros poissons ne peut pas être la même partout.
Barbeau Chevesne Vandoise rostrée
Comme expliqué plus haut, les facteurs “abiotiques” régissent la productivité d’une rivière et sa capacité d’accueil. Une rivière granitique de montagne à 1500 m d’altitude n’est pas comparable à une rivière calcaire normande de type « Chalk-stream ».
Les aménagements piscicoles peuvent améliorer les habitats et potentiellement favoriser la présence des poissons. Dans certains cas, il suffit de rendre disponible des caches pour accroître la population de truite, dans d’autres, c’est l’accès aux frayères qui améliorera le taux de recrutement du cours d’eau. Il ne s’agit pas toujours d’opérations coûteuses. Ces ateliers peuvent être menés avec les techniciens de rivières ou les équipes techniques de fédération de pêche.
Autre point important : il ne faut pas négliger de valoriser la diversité piscicole. Bien que cet article soit essentiellement orienté « salmonidés », d’autres poissons sont à mettre à l’honneur. Le barbeau, la vandoise, le chevesnes et bien d’autres espèces peuvent cohabiter naturellement avec les truites. Ces poissons supportent des températures plus élevées et sont plus tolérants quant aux habitats. Ils sont tout à fait intéressants à pêcher. Ne cherchez pas à les éliminer du milieux, s’ils sont présents c’est qu’ils ont leur place.
L’Itchen est un Chalk Stream anglais similaire aux rivières normandes Le ruisseau des Plèches en Lozère, serpente sur le plateau de l’Aubrac
En conclusion :
En matière de gestion des milieux aquatiques et d’halieutisme, le dogmatisme doit plutôt faire place au pragmatisme ! Il faut aller au delà des idées reçues, des théories et être curieux. Le meilleur modèle de gestion sur un cours d’eau n’est pas nécessairement celui qui correspond le mieux à un autre cours d’eau. Une réglementation qui satisfait une catégorie de pêcheurs, ne satisfait pas nécessairement les autres.
Chaque espèce est différente et il faut savoir composer avec leurs exigences écologiques. Il est donc essentiel de s’intéresser au potentiel de chaque milieu pour définir une gestion adaptée. Il faut savoir composer avec les observations de terrain pour proposer une valorisation halieutique en adéquation. Engagez-vous auprès de votre AAPPMA et de votre Fédération Départementale si vous souhaitez faire bouger les lignes !
Voici une belle initiative en Ardèche où une brigade d’écogardes veille sur la Beaume et la Drobie.
Maxime Hache : moucheur et écogarde
Merci d’avoir lu cet article jusqu’au bout ! Je sais que ce n’est toujours simple de lire le vocabulaire scientifique. J’espère que ces explications vous permettrons de mieux comprendre comment les gestionnaires travaillent pour que vous puissiez pêcher.
A bientôt.
Florian CARAVEO
Les lacs d’altitudes sont des lieux de pêche fabuleux à fort attrait halieutique !
Pêche à la mouche en lac d’altitude (Partie 1)
Félicitations pour cet article bien ficelé !
Je rajouterai simplement que, vu la tournure que prennent les événements climatiques et autres modifications sur naturelles nées dans les cerveaux d’ingénieurs en manque de reconnaissance,nous assistons à des phénomènes qui ne sont que le résultat de dizaines d’années durant lesquelles l’homme a chercher à se débarrasser de l’eau.
Drainages ,recalibrages, endiguement etc et la liste est longue, tout à était mis en œuvre ou presque pour lutter contre ce fléau.
Chacun y allant de bon cœur en prétextant les meilleurs arguments d’ordre sanitaire, alimentaire, forestière, urbanisation à tout va.
Aujourd’hui les données changent et ces mêmes cerveaux nous concoctent des solutions machiavéliques pour stocker en plein donc réchauffer des quantités phénoménales d’eau l’hiver disponibles pour l’irrigation estivale.
N’était ce pas les fonctions des zones humides que nous continuons à assécher ?
Encore une méthode pour accélérer le cycle de l’eau au détriment du phénomène d’infiltration alimentation naturelle des eaux souterraines.
Et les poissons dans tout ça ?
Certainement qu’ils vont s’adapter comme ils l’ont fait depuis la nuit des temps. La seule différence c’est que cette adaptation n’aura pas la même échelle de temps et que bon nombre d’espèces sont déjà sur le déclin.
Par retour d’expérience, nous pouvons constater que le milieu se dégrade si vite que la vie piscicole est anéantie. Certaines zones sont réversibles d’autres ne le sont plus.
La présence de salmonidés dans les rivières est la garantie de qualité et de salubrité.
Ces constats sont confortés par les résultats d’études des différents gestionnaires de l’eau ou chacun vois midi à sa porte. Mais la santé et la sécurité publique caracole en tête des préoccupations.
La complexité administrative des choses, les réglementations font que pour le commun des mortels le panier de crabes est rébarbatif.
Ceci creuse d’avantage le fossé entre la base(AAPPMA) et le sommet de la pyramide, où bien souvent, les gestionnaires n’on pour eux que leur bonne volonté et quelques dispositions gèrent des Taxes Piscoles mais certainement pas des milieux aquatiques.
La Fédération Nationale qui s’appui sur ses bases pourrait à minima informer voir former ses acteurs de terrain.
A mon avis, et même si je ne suis pas pessimiste de nature, je vois mal comment on pourrait redresser la barre et ce malgré les alertes incessantes des experts.
Tout un programme cher Richard…
Très bel article Florian…
De la nuance pour ce sujet, complexe !
Merci bien Daniel 😉
Bel article Flo🤩
J ajouterai qu’il existe des solutions si on n était pas aussi têtu. Par exemple, côté espagnol de nos chères Pyrennees, les rivières semblent en bien meilleure forme que chez nous et avec une belle population de truites! Et pourtant il y fait plus chaud (exposition sud), l irrigation est très importante, présence de nombreux barrages, …et beaucoup de pêcheurs!
On a toujours le sentiment d’y faire de très belles pêches …. Et c est régulier!
Brut de fonderie, les deux principales différences sont:
– l eau des barrages qui alimentent les parcours avals est issue du fond et est donc naturellement fraîche. De plus, elle est retenue l hiver à un niveau constant et relativement bas, et est lâchée l été pour l irrigation. Ainsi la rivière reste fraîche malgré les fortes chaleurs de l été.
– en général, les tronçons en réserve ou en no-Kill, sont de plusieurs km et non de quelques 100aine de mètres comme chez nous. La moitié du linéaire est bien souvent sous ce régime et l autre réservé au prélèvement. Les tronçons avec prélèvements sont d ailleurs tout aussi bons que les parcours no-Kill.
J ai le sentiment que le fait de préserver ainsi la population de truites sur une moitié du linéaire de la rivière, ça permet de maintenir un bon niveau de population de truites sur tout le linéaire, les truites se répartissant sur partout en fonction des capacités de accueil de chaque tronçon.
Je ne suis pas un scientifique de la gestion d un cours d eau mais force est de constater que ça fonctionne bien! On y retrouve de belles éclosions avec des truites qui gobent très régulièrement.
….
Merci beaucoup Thierry pour ce super commentaire. En effet les grands barrages peuvent avoir cet effet bénéfique en aval (tant que la retenue est gérée de manière compatible avec l’écologie des espèces piscicoles). Toi qui a bien voyagé et pêché aux Etats-Unis, les « tails waters » sont de vrais oasis salmonicole au milieux de régions parfois très arides. La température de l’eau est un facteur très important pour les salmonidés. Plus l’eau est fraîche et oxygénée et mieux l’autoépuration fonctionne. Dans certains pays, l’assainissement des eaux usées n’est pas aussi efficiente qu’en France. Mais avec de l’eau fraîche et en quantité, l’apport en matière organique cela peut doper la productivité de la rivière.
Pour ce qui est de la longueur des réserves et No-Kill, je n’ai pas abordé cette dimension mais c’est à prendre en compte. En dehors du haut Tarn, je n’ai pas travaillé sur de longs secteurs No-Kill. Une population qui comporte des abondances équilibrées sur les différentes classes d’âge est logiquement plus robuste. Un parasite comme la PKD, une grosse crue ou une pollution peuvent atteindre une classe d’âge plutôt qu’une autre.
Au plaisir 😉
Sujet délicat, bien maîtrisé !
Félicitations Florian!👍
Les barrages,, !!!!´permettent de tenir une thermique favorable aux truites ..,, mais quand on constate les énormes dégâts, engendrés par une vidange technique comme sur le brianconais ,, ou 50 KLM de rivière est totalement saccagé, on se retrouve impuissant ! Malgré toutes les précautions. Prises .,, les barrages,,la fée électrique et ces miracles !!!! L halieutisme ,, n est jamais très loin., des problématiques ., de nos activités,,, humaines.., une pêche dans des zones aux conformités peut reluisante…
En effet M. Dupont, les dégâts d’une vidange mal suivie et qui survient en mauvaise période hydrologiques peuvent occasionner de très gros dégâts sur une rivière.