Rapport Riverwatch : menace hydroélectrique autour de la Méditerranée

L’hydroélectricité est régulièrement pointée du doigt pour son impact sur la biodiversité. Autour de l’arc méditerranéen les derniers cours d’eau « sauvages » sont menacés. Ce véritable « hot spot » de la biodiversité pourrait voir disparaître plusieurs dizaines d’espèces de poissons pour produire de l’électricité dite « verte ».

Chasse au CO2 VS perte de biodiversité

Vous me direz peut-être : « On s’en fout des poissons ! Si en 2030 la planète a pris 3°C de plus, on pensera à autre chose. Et puis dans les lacs de barrages, il y a des poissons et on peut pêcher ! » Sauf que je ne suis vraiment pas sûr que la petite hydroélectricité soit le remède au réchauffement climatique. Et c’est pourtant ce type d’installation qui semble poser le plus de problème pour la biodiversité. « Les centrales hydroélectriques sont l’une des principales causes du déclin de nombreuses espèces de poissons dans la région méditerranéenne. » C’est l’une des principales conclusions du rapport publié le 9 juillet dernier par Jörg Freyhof, Laura Bergner et Matthew Ford.

Barrage sur la Vis, jusqu'à 90% du débit de la rivière sont détournée du lit sur plusieurs kilomètres pour produire de l'électricité. Cet ouvrage est dépourvu de dispositif de franchissement pour les poissons.
Exemple d’un ouvrage hydroélectrique sur une rivière méditerranéenne.

Des experts s’inquiètent pour les rivières méditerranéennes

Riverwatch a publié un article à propos d’une nouvelle étude sur les menaces qui pèsent sur les rivières qui coulent vers la mer Méditerranée (article ici). Ces menaces sont liées à la multiplication des projets dédiés à la production d’hydroélectricité notamment dans les Balkans. Pas moins de 3000 projets d’installations hydroélectriques seraient à l’étude dans ces montagnes où des bassins versants sont encore intacts. L’arc méditerranéen est remarquable par sa richesse halieutique. A ce jour, 251 espèces de poissons d’eau douce seraient en danger autour de la Méditerranée.

Quand on parle de barrage, on imagine souvent le saumon qui se retrouve au pieds du mur et s’épuise un peu plus après chaque saut désespéré. Les cours d’eau de l’arc méditerranéen sont peuplés de nombreuses espèces plutôt méconnues du grand public. On retrouve des salmonidés, mais aussi différentes espèces de lamproies, de chabots et de cyprinidés. Il y a tout de même quelques espèces migratrices amphihalines emblématiques comme l’anguille, les esturgeons et les aloses.

«Les centrales hydroélectriques sont l’une des principales causes des listes rouges de poissons de plus en plus longues», d’après le Dr Jörg Freyhof.

D’après le rapport « 163 espèces de poissons sont menacées d’extinction par les centrales hydroélectriques existantes et prévues d’une capacité inférieure à 10 mégawatts ». Ce n’est pas donc pas une idée de pêcheur de salmonidés « écologiste intégriste », comme j’ai pu le lire sur un site faisant l’apologie de la petite hydroélectricité. Les faits sont documentés, les exemples nombreux, et les agences de l’eau n’incitent pas au rétablissement de la continuité écologique des rivières pour le plaisir des pêcheurs. La privatisation de ce bien commun qu’est l’eau n’a pas de sens si c’est pour servir les intérêts d’une poignée d’exploitants privés avides d’argent facile.

Sans un système généreusement subventionné, il est peu probable que ces derniers s’engagent dans des chantiers de restauration de vieux moulins par conviction « écologique ». Or, ce ne sont pas les grands barrages qui posent le plus de problème, ce sont essentiellement des exploitations de petite dimension et les auteurs de ce rapport s’inquiètent du nombre de projets à venir.

«Si l’expansion de l’hydroélectricité n’est pas arrêtée, l’UE peut oublier ses objectifs en matière de biodiversité dans le Green Deal. Cela n’a aucun sens que la stratégie de la biodiversité stipule la restauration de 25 000 kilomètres de rivière si, dans le même temps, des milliers de kilomètres doivent être endigués et détournés en raison du développement hydroélectrique », a déclaré Ulrich Eichelmann, PDG de Riverwatch.

Le Lez, fleuve méditerranéen abritant une population de chabot endémique retranchée sur sa partie amont.
Le Lez est un petit fleuve méditerranéen où vit une espèce protégée : le chabot du Lez.
De nombreux cours d’eau méditerranéens comportent des espèces très locales dont l’habitat peut se limiter à quelques centaines de mètres.

Selon le rapport publié en partenariat avec Riverwatch : « Plus de 6 300 nouvelles centrales hydroélectriques sont prévues, 5 269 sont déjà en service et 202 sont actuellement en construction. Si toutes les usines projetées devaient être construites, 179 espèces de poissons seraient poussées plus loin vers l’extinction. »

Les énergies « vertes » ou la biodiversité ?

La Directive Cadre sur l’Eau a été établie en octobre 2000 pour préserver la qualité de l’eau et des milieux aquatiques. En 2009, le Grenelle de l’Environnement donnait des objectifs de préservation de la biodiversité avec les « Trames Vertes et Bleues ». Ces textes avaient permis de lancer des chantiers ambitieux pour restaurer des cours d’eau et/ou d’empêcher la création d’ouvrages sur les cours d’eau présentant des caractéristiques écologiques remarquables. Le classement des cours d’eau (Liste 1 et Liste 2, non classés) est une base prise en compte dans le cadre des modalités d’aménagement de moulin, de digue ou de l’exploitation d’une centrale hydroélectrique.

Vers 40% d’électricité issue des énergies dites « renouvelables » en 2030 en France

Les ambitions « écologistes » du gouvernement de François Hollande n’étaient pas vraiment au service des rivières. Entre la révision de la cartographie hydrographique et l’incitation à la mise en place de nouveaux dispositifs hydroélectriques de petite taille, il y a de quoi s’inquiéter pour les rivières. Et cela ne se limite pas au bassin méditerranéen. L’enjeu climatique sert de prétexte pour servir des causes bien moins vertes qu’elles n’y paraissent. Vous pouvez penser que tout doit être mis en oeuvre pour sauver le climat et assurer notre autonomie énergétique. Le parc de barrages en France est saturé (un peu plus de 600 installations en France exploités selon EDF).

La petite hydroélectricité contribue à hauteur de 1% de la production électrique française alors que le nombre d’installations est supérieur à 1800. Il s’agit de toutes ces petites retenues, digues, dérivations (plus de 1870 en 2017) qui viennent interrompre la continuité écologique des rivières. Ainsi, le cycle biologique d’espèces aquatiques (classées, menacées ou non) se retrouve complètement déréglé sur des milliers de kilomètres de rivière. Ce sacrifice environnementale est-il judicieux pour une si faible contribution à la production d’énergie renouvelable ?

En face il y a les grand barrages qui pèsent pour 9% de la production hydroélectrique. Dans certains cas, les grands barrages ont des effets positifs sur les rivières à condition que les gestionnaires soient sensibles aux enjeux de biodiversité.

En 2017, la production française d’électricité d’origine hydraulique a représenté un total de 53,6 TWh en baisse de – 16,3 % par rapport à 2016. Cette baisse est due principalement à une pluviométrie très faible cette année. (Source EDF)

Le Ministère de la Transition Ecologique compte augmenter la capacité de production de 2 à 3 TWh en augmentant le parc d’installations d’ici 2025-2030. L’objectif semble très ambitieux et très théorique. Comment projeter ces chiffres ans un contexte de changement climatique avec des précipitations irrégulières ? Les épisodes de sécheresse se répètent et s’intensifie, Le régime hydrologique des cours d’eau est déjà perturbé par le réchauffement climatique. Les besoins en eau pour l’agriculture et l’alimentation des populations sont déjà des points de crispation dans différentes régions. L’eau va manquer pour servir tous les utilisateurs et en bien commun de l’humanité, il ne faudrait pas qu’elle ne manque au robinet… Les calculs présentés dans les projets hydroélectriques s’appuient essentiellement sur les données disponibles donc celles du passé.

Il serait judicieux de veiller à ce que les projets soient viables même avec -10%, -20% voire -30% de précipitations dans 10 ans. Il y a fort à parier que les candidats seraient moins nombreux.

De nombreux projets de petites installations

Il existe des projets d’aménagement de vieux moulins, de construction de nouveaux ouvrages et d’optimisation d’installations hydroélectriques,. Les services de l’état doivent veiller au respect de procédures administratives. Il y a des contextes variables en fonction des localisations et du classement des cours d’eau. On voit mal comment le parc de micro-centrales augmentera pour atteindre ne serait-ce que 2% du mix énergétique français d’ici 2030.

Je ne suis vraiment pas convaincu que la contribution énergétique de ce plan. Il semble difficilement conciliable avec la biodiversité et finalement peu efficace pour luter contre le réchauffement climatique. Quid des coûts et des personnes qui profitent réellement de ces mesures.

Et les grands barrages dans tout ça ?

Le cas des grands barrages me semble différent. Leur capacité de stockage colossale permet de délivrer de l’énergie rapidement, lors de pics de consommation par exemple. Cela peut engendrer des impacts négatifs, mais cela peut aussi être conciliable avec la préservation d’espèces même migratrice quand ces barrages sont situés bien en amont des secteurs de reproduction. EDF fait des progrès et le barrage de Poutès (sur l’Allier) est probablement sur une voie intéressante pour marier les enjeux énergétiques aux enjeux de biodiversité.

Pourquoi tant de projets peuvent encore voir le jour en France et en Europe ?

Entre le prix d’achat généreux de cette énergie et sa disponibilité « aléatoire » selon l’hydrologie, la micro électricité a un coût réel supérieur à d’autres énergies « décarbonnées » et son impact écologique est palpable quasiment partout en France. En face de ces projets, il y a des personnes attachées à la préservation de leur territoire et qui ont développé une activité souvent liée au tourisme rural tout à fait viable. Pour les territoires ruraux, une économie « verte » ne signifie pas qu’elle est liée à la production d’énergie intermittente subventionnée !

Débits artificiels et économie locale.

Il y a bien d’autres pistes sans avoir à transformer les rivières à coup de bulldozer et de béton. En été, de nombreuses rivières méditerranéennes sont des lieux de récréation. Baignade, canyoning, rafting et autres activités de plein air qui produisent des emplois directement liés à la qualité des milieux aquatiques. D’ailleurs parmi ces dernières activités, lesquelles payent une taxe spécifique à la protection de l’eau et de la biodiversité ? La réponse : aucune. En France, seuls les pêcheurs de loisir paient pour protéger les rivières et pourtant, il ne sont jamais mis en cause pour la dégradation de l’état écologique des cours d’eau. Pourtant, on imagine mal des personnes consciencieuses se plaire à passer des vacances à côté de rivières asséchées. Un paysage désertique où l’odeur d’animaux aquatiques morts serait insoutenable, n’est pas très « sexy » pour les photos souvenirs.

Vous pouvez lire les éléments communiqués par le gouvernement sur l’hydroélectricité en France : https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/hydroelectricite.

Le rapport « Threatened Freshwater Fishes of the Mediterranean Basin Biodiversity Hotspot » est disponible en ligne : https://balkanrivers.net/Threatened_Fish_MedBasin.pdf.

Je vous invite à voir le film « Save the Blue Earth of Europe » réalisé en partenariat avec la marque Patagonia. Vous pouvez également soutenir European River Network dont le travail porte ses fruits. Vous découvrirez notamment comment un barrage sur la Sélune : https://www.ern.org/fr/selune-libre/.

Enfin si les travaux d’EDF sur la conception de barrages intelligents vous intéressent, ce lien devrait vous éclairer davantage : https://www.edf.fr/edf/accueil-magazine/vers-des-barrages-intelligents-et-durables.

Merci de m’avoir lu et à bientôt pour un récit d’eau !

Florian CARAVEO

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