La perpétuelle évolution de la pêche à la mouche

Les cannes 8′ soie 5 en bambou sont plutôt rares dans l’arsenal des moucheurs du 21ème siècle qui ne se limitent pas aux truites ou aux saumons. Il est loin le temps où la pêche à la mouche était réservée à une certaine caste qui ne pratiquait que la pêche en sèche ! Le fameux « dry fly only » fait toujours des adeptes mais il faut bien l’avouer, les pêcheurs à la mouche ont diversifié leurs terrains de jeu tout en s’intéressant à de nombreux poissons pas toujours insectivores…

Sans faire de plagia de Wikipédia, la pêche à la mouche est une technique de pêche très ancienne. Des écrits romains font référence à une technique mise au point pas les macédoniens qui utilisaient des hameçons recouverts de laine et ornés de deux plumes de coq enduites de cire. Nul doute qu’à cette époque, le matériel devait être plus  sommaire que celui que nous utilisons mais le principe était là. Imiter la proie d’un poisson pour tenter de le séduire, c’est bien le fondement de la Pêche à la mouche. En Asie, la pêche au Tenkara reprend ce même principe avec un matériel minimaliste mais très raffiné que les Japonais ont mis au point au fil des siècles.

Avec une canne d’environ trois mètres, une ligne de la même longueur et une mouche rudimentaire, le pêcheur se trouve rapidement limité. Comme dans tous les domaines, les hommes ont mis au point de nouvelles méthodes pour travailler différents matériaux et finalement transformer une pêche très simpliste à l’origine en une pêche ultra technique de nos jours.

Un peu d'histoire de pêche à la mouche
L’une des multiples vitrines du American Museum of Fly Fishing à Manchester, Vermont

Le matériel et les techniques de lancer.

Il faut bien admettre que lancer une mouche à plus de trente mètres avec une canne de moins de cent grammes est le fruit d’une combinaison de plusieurs progrès. Comme souvent, la plupart des pêcheurs se sont focalisés sur le matériel mais l’une des principales évolutions notables de la pêche à la mouche moderne réside dans la technique de lancer. En vérité, il n’y a pas une seule et unique technique mais un principe est commun à plusieurs méthodes de lancer, c’est le déplacement de la canne et de la soie sur un axe plutôt qu’autour d’un point. Nous parlons alors de lancer « linéaire ».

Au début du 20ème siècle, les pêcheurs à la mouche utilisaient principalement leur poignet et l’avant bras pour lancer d’une manière « rotative » en se référent à un cadrant horaire. Dans le célèbre film « Et au milieu coule une rivière » le métronome donne le tempo et le père enseigne à ses fils une méthode de lancer rythmée en faisant en sorte que la canne se positionne entre « 9h et 1h ». Norman Mclean décrit dans le roman « La rivière du 6ème jour », comment son frère avait développé une technique de lancer plus performante. La technique est brièvement mise en scène dans le film « Et au milieu coule une rivière ». Physiquement éprouvante, la technique du lancer « au poignet » a encore ses adeptes mais les meilleurs lanceurs maîtrisent une gestuelle plus globale. Faisant appel à un ensemble de muscles et d’articulation afin de développer plus d’énergie et d’économiser le poignet. Cette gestuelle aujourd’hui codifiée et enseignée par les moniteurs de pêche à la mouche permet de décupler l’énergie produite par le pêcheur en passant par la canne, la soie et le bas de ligne.

L’utilisation de méthodes de lancer plus en adéquation avec la mécanique du corps humain a permis aux moucheurs d’exploiter davantage les propriétés techniques du matériel et de repousser les limites même avec des cannes à une main très légères. Les pêcheurs au saumon ont adopté des cannes à deux mains pour propulser les soies à grande distance et prospecter les grandes rivières. On parle de « Spey Cast »par exemple pour décrire un lancer rouler spécialement élaboré pour lancer sans avoir de dégagement en arrière, la Spey étant une fameuse rivière à saumon écossaise.

Vous l’aurez compris, l’arrivée du carbone n’est pas la seule évolution majeure du 20ème siècle. Sans une gestuelle plus complète, le carbone soulage l’articulation du poignet mais ne permet pas de propulser correctement une mouche à distance.

Le matériel et les techniques de pêche.

Une fois que le pêcheur sait poser convenablement une mouche sur l’eau, se pose la question de la technique de pêche à privilégier pour attraper un poisson. Comme évoqué précédemment, les pionniers de la pêche à la mouche utilisaient plutôt des mouches de surface. Mouches sèches ou noyées, les poissons se nourrissant à proximité de la surface sont réceptifs à ces mouches et cela fonctionne toujours très bien. Au 19ème siècle les soies naturelles sont fabriquées à partir d’un tissage de soie du bombyx, une fois bien graissées, elles flottent ce qui s’avère parfait pour la pêche en sèche. En revanche, ces soies, non graissées, s’immergent lentement et permettent de pêcher sous l’eau avec des mouches noyées. Les premiers pêcheurs à avoir utilisé ce type de matériel s’intéressaient essentiellement aux salmonidés qui se nourrissaient essentiellement d’insectes adultes ou en phase de métamorphose (émergentes). Les mouches étaient essentiellement fabriquées avec les matériaux naturels à disposition des pêcheurs. En fonction des pays, les mouches pouvaient être plutôt composées de plumes de coqs ou de plumes de gibiers. Les anglais ont énormément fait évoluer les montages en employant des espèces d’oiseaux exotiques issues de leurs colonies.

Des oiseaux et des plumes pour faire des mouches
Cette vitrine retrace l’origine de différentes espèces d’oiseaux dont les plumes sont mentionnées pour la confection de mouches artificielles.

Avec l’évolution des matériaux de montage sont arrivées des mouches moins imitatives que celles représentant des insectes. Les mouches noyées à saumon dont les couleurs étaient parfois très vives, tendaient à s’allonger et à suggérer des proies telles que des crevettes ou des petits poissons. Les « streamers » ont petit à petit fait leur apparition, ouvrant de nouvelles perspectives aux pêcheurs. Avec des mouches plus grosses et moins imitatives, les moucheurs ont pu s’intéresser à d’autres poissons que les salmonidés et c’est ainsi que le brochet, le black-bass, le bar et bien d’autres espèces ont fini par prendre une mouche ! Nous nous éloignons un peu du principe originel qui consistait à imiter un insecte mais il s’agit toujours d’une association de différents matériaux ligaturés sur un hameçon pour tromper un poisson.

En parallèle de l’essor de la pêche à la mouche à travers le monde et la diversification des poissons recherchés, le matériel a continué d’évoluer pour mieux capturer de nouvelles espèces cibles notamment. L’arrivée des matériaux synthétiques dans les années 50 a inspiré les moucheurs qui les ont à la fois utilisé pour concevoir de nouvelles générations de soies et de mouches artificielles. Avec des soies plongeantes, des mouches de toutes sortes et la démocratisation des voyages, les pêcheurs à la mouche ont petit à petit trouvé de nouvelles destinations avec de nouveaux poissons. En Amérique du sud, en Afrique, en Asie, dans les Caraïbes et bien d’autres régions du monde, les pêcheurs voyageurs ont essayé différentes techniques dont la pêche à la mouche pour prendre des poissons parfois méconnus.

Ces pêcheurs sportifs qui voyagent ont adapté la pêche à la mouche en imitant parfois la pêche au leurre pour prendre des poissons prédateurs et battre des records. Bonefish, tarpon, carangue géante, huchon taimen, saumon king, dorado, poisson coq et même arapaïma, voilà des espèces exotiques que les moucheurs convoitent avec des cannes dont les mensurations sont hors du communs. 8’6 soie 15 pour les marlins, 9′ soie 11 pour les tarpons et les huchons, 15′ soie de 12 pour les grands saumons norvégiens, en quelques décennies le matériel de pêche à la mouche s’est diversifié d’une manière extraordinaire pour accompagner les pêcheurs dans des défis parfois extravagants.

Lancer un streamer énorme avec une canne pour soie n°15 dans le sillage d’un bateau de pêche pour prendre un marlin n’a pas grand chose de comparable à la traque d’une truite sauvage dans une rivière de montagne avec une canne de 7’6 pour soie n°3 et une imitation de fourmi taille 18 ! Mais cela reste de la pêche à la mouche et la plupart des moucheurs ne s’intéressent pas qu’à une seule espèce de poisson.

Et la pêche à la nymphe dans tout ça ?

On ne peut pas parler de la pêche à la nymphe sans évoquer son principe de base : imiter une larve d’insecte en dérive pour leurrer des poissons qui s’alimentent entre deux eaux ou près du fond. Au départ la limite entre la pêche à la mouche noyée et la pêche en nymphe devait être assez étroite. A force d’observation et en analysant le contenu des estomac des truites, les pêcheurs ont remarqué la présence de larves d’insectes en quantité. Les salmonidés de rivières et de lac passent le plus clair de leur temps à s’alimenter sous l’eau. Soit de larves en dérive soit d’insectes noyés dans les vagues ou les courants. C’est probablement Frank Sawyer qui a le plus contribué à l’évolution de la pêche en nymphe dans les années 1960 avec un premier livre dédié a cette technique (Nymph Fishing in Practice 1963). Père de la célèbre « pheasant tail » Sawyer a mis au point plusieurs modèles de nymphes pour prendre des truites et des ombres sur différentes rivières d’Angleterre. En tant que « garde rivière » en charge de la gestion des populations de poissons, il avait compris comment se nourrissaient les salmonidés et avait réussi à élaborer une technique redoutable qui a continué d’évoluer dans les années 1980 dans les pays d’Europe de l’Est et en France.

Toujours très efficaces pour capturer les ombres et les truites, les nymphes peuvent être très imitatives comme très incitatives, légères ou lourdes pour leurrer des poissons dans tous les profils de rivière. Il existe plusieurs techniques de pêche pour utiliser des nymphes et un matériel spécifique existe pour chacune d’entre elles bien que plusieurs de celles-ci converges vers l’utilisation de cannes de 10’6 à 11’6 pour soie de 2 à 4. Les moulinets semi-automatiques sont aussi très utilisés dans cette pratique bien que les moulinets manuels large arbor demeurent très avantageux. Comme la pêche au streamer, qui tend à ressembler à la pêche au leurre, la pêche en nymphe s’apparente parfois à des techniques mises au point pour pêcher avec des appâts naturels comme le toc par exemple. Les nymphes pouvant être imitatives ou incitatives, c’est un très bon compromis entre les leurres et les larves naturelles.

Les dernières tendances :

Les pêcheurs se mettent à la pêche à la mouche pour prendre des poissons qui ne réagissent pas toujours avec des leurres ou des appâts naturels. Les pêcheurs au toc par exemple passent parfois à la pêche au Tenkara puis à la pêche à la mouche. De plus en plus de pêcheurs au carnassier utilisent des leurres avec des cannes « spinning ou casting » mais dans certains cas et ce malgré la multitude de leurres, les poissons réagissent mieux aux streamers. Il semble que de plus en plus de pêcheurs aux leurres se lancent dans la pêche à la mouche pour à la fois se divertir et réussir à séduire les poissons éduqués qui finissent par bouder les leurres. Le matériel de pêche à la mouche au carnassier devient de plus en plus technique et les mouches évoluent sans cesse.

matériel pêche

Pour terminer cet article, il convient de préciser qu’il y a presque autant de façon de pêcher à la mouche que de moucheurs ! Comme pour les arts martiaux, la maîtrise des bases amène à l’autonomie et finalement à une forme de liberté dans la pratique. Alors que vous soyez débutant, pêcheur à la mouche confirmé ou expert, cultivez votre passion en lisant, en regardant des vidéos et en rencontrant d’autres protagonistes.

La pêche à la mouche a évolué, elle évolue et elle évoluera encore à condition que ses pratiquants aient l’audace de relever de nouveaux défis !

Vous pouvez lire également cet article pour vous familiariser avec les expressions et le jargon des moucheurs : https://somouch.fr/culture-mouche-les-codes-des-moucheurs/

Florian CARAVEO

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