Culture Mouche : les codes des moucheurs

Dans tous les sports, loisirs et plus globalement dans les communautés, les hommes créent des liens basés sur des codes sociaux qu’il faut maîtriser pour être considéré par ses pairs. La pêche à la mouche n’échappe pas à ces règles qui s’établissent naturellement. Cet article va sans doute vous aider à mieux décoder la « Mouche attitude » !

Avant que vous ne lisiez la suite, comprenez que ce qui est valable pour les moucheurs l’est également pour les moucheuses qui sont de plus en plus nombreuses à travers le monde. 

1°) A quoi ressemble un moucheur ?

Il n’existe pas un seul type de moucheur mais bien plusieurs ! En fonction de son origine, des endroits où il pêche et de sa génération, le moucheur peut être habillé d’une certaine manière et avec un matériel très spécifique.

Le moucheur traditionnel de rivière porte une casquette ou un chapeau (avec ou sans plume !), une paire de lunette polarisante, une chemise ou un t-shirt à manches longues, le fameux gilet de pêche avec ses multiples poches, sans oublier les waders (la fameuse salopette étanche).  Sur sa casquette de couleur kaki ou beige (c’est plus discret) il y a une silhouette de poisson ou une marque. Son gilet est décoré de quelques écussons, des bobines et différents outils sont suspendus et on peut distinguer quelques mouches accrochées sur un patch en mousse.

Le moucheur plus « branché » porte des couleurs plus chatoyantes. Sa casquette est parfois orange ou bleue, le T-shirt ou la veste peut se voir de loin et assurément, il arbore les couleurs de l’une de ses marques favorites ! Pas de gilet, lui son truc c’est de pêcher plutôt léger avec un « Chest Pack » ou un « Hip-pack », deux sortes de sacs spécifiquement conçus pour stocker tout ce dont un bon moucheur à besoin pour ne manquer de rien une fois sur son « spot » préféré (son coin de pêche). Les moucheuses adoptent volontiers ce style avec une touche plus coquette.

Le moucheur des flats (bords de mer, lagons) est un hybride entre le surfeur et le pêcheur à la mouche ! Short de bain, T-shirt anti UV, Tour de cou remonté jusque sur le nez et lunettes polarisantes bien en place, ce moucheur est un spécialiste des poissons exotiques qui peuplent les lagons des DOM-TOM. Il vit la pêche à la mouche au rythme des marais avec ou sans bateau mais toujours à l’affût d’un sillon, d’un reflet ou de nageoires, son truc c’est les poissons en chasse ou en « tailing ». Ce pêcheur à la mouche utilise des imitations de crevettes, de crabes ou de petits poissons.

2°) Do you speak Mouche !

Si vous rencontrez par hasard un moucheur qui commence à vous raconter une journée de pêche ou à parler technique vous pourrez vite perdre le fil ! Lui ne le perdra pas, ne vous en faites pas. Comme vous l’aurez sans doute lu ci-dessus, des termes anglophone sont régulièrement employés par les pêcheurs à la mouche, pourtant ils sont loin d’être tous bilingues. Voici une mise en pratique :

« Hier j’étais sur un flat, j’ai vu un fish en tailing à 15m j’ai shooté mon crazy charly à côté, ma mouche a touché l’eau, j’ai strippé et là j’ai senti la touche, j’ai ferré, le poisson à fait un rush de 100m, j’étais sur le backing en 2/2 !« 

Décodage : ce pêcheur explique, qu’il était à la pêche sur une zone peu profonde en mer, qu’il a aperçu la nageoire d’un poisson qui mangeait à 15m de lui. Il a lancé sa mouche, un crazy charly, à côté, le poisson a pris, il lui a déroulé 100m de ligne très rapidement (le rush), le backing étant une tresse de remplissage à laquelle la soie (d’une longueur de 30m) est nouée justement pour éviter qu’un poisson trop énergique ne casse lors d’une longue course.

Cet exemple est un condensé de mots plus ou moins techniques qu’emploient vraiment les moucheurs. Alors plutôt que de vous proposer des dizaines de cas, voilà les quelques mots et expression que nous utilisons le plus.

« Ça gobe ? » : Est-ce que les poissons mangent des mouche à la surface de l’eau ? Le terme « gobage » est utilisé pour décrire le moment où le poisson aspire un insecte ou une mouche à la surface de l’eau en formant des petits remous. Les gobages sont parfois associés à un son caractéristique de clappement. Un moucheur bien entraîné reconnait le « gloup » d’un gobage entre les différents sons de la rivière.

« Regarde ce poisson qui nymphe » : Dans le Bescherelle, le verbe nympher n’existe pas mais les pêcheurs l’ont inventé pour parler des poissons qui mangent des larves d’insectes qui dérivent sou l’eau.

« Tu pêches à vue ? » : comme son nom l’indique, la pêche à vue se pratique principalement par eau très claire de manière à pouvoir bien distinguer les poissons et à lancer une mouche sur le trajectoire. On parle souvent de pêche en nymphe à vue, ce qui consiste à utiliser une imitation d’insecte aquatique ou de petit crustacés pour séduire un poisson qui se nourrit entre deux eaux ou près du fond. Cette technique est

« La pêche en sèche » : comprenez pêche à la mouche de surface ! La pêche à la mouche sèche, est celle qui consiste à présenter une imitation d’insecte en dérive à la surface de l’eau. C’est pour de nombreux moucheurs la plus belle manière de prendre un poisson.

« La pêche en noyée » : non, il ne s’agit pas d’essayer de « noyer le poisson » ! Cette technique plutôt traditionnelle est faite pour pêcher les poisson avec des mouches dites « noyées » qui comme leur nom l’indique vont s’immerger. Les mouches noyées ne sont pas nécessairement imitatives, elle peuvent être très colorées ou brillantes pour certains modèles.

« Tu pêches avec une queue de rat ? » dans ce cas rassurez-vous, aucun animal n’est blessé ! La queue de rat désigne le type de bas de ligne qu’utilise le moucheur. Dans ce cas, il s’agit d’un bas de ligne sans nœud (à la différence des bas de ligne « à nœuds ») dont une extrémité est large et l’autre fine. La conicité du bas de ligne est régulière.

La liste de termes techniques est assez longues mais avec ces quelques bases, vous pourrez décoder quelques conversations.

3°) Les moucheurs et les poissons

« No-Kill » ou « Catch and release », ces deux expressions définissent l’acte de prendre un poisson et de le remettre à l’eau en bonne santé. La plupart des moucheurs pratiquent la pêche de cette manière en prenant le plus grand soin des poissons. Ce sujet peut lancer des discussions passionnées et s’il y a des « animalistes » dans le coin, n’en parlons pas ! Globalement, la pratique de la pêche à la mouche dans le monde n’exclut pas de garder un poisson de temps en temps (s’il est blessé par exemple) mais dans de nombreux pays, le « catch and release » est encré dans les mœurs d’autant plus sur les parcours « patrimoniaux » ou dans les réserves naturelles. Ainsi, la pêche à la mouche est une activité durable qui permet notamment à des scientifiques de suivre l’état sanitaire et écologique des écosystèmes.

« J’ai voulu remettre ce poisson à l’eau mais il n’est pas reparti, alors je l’ai mangé, mais j’étais triste. »

Sans tomber dans le stéréotype du moucheur intégriste du No-kill (il n’y a pas que des moucheurs d’ailleurs…), il faut noter que les pêcheurs à la mouche sont souvent dynamiques pour mettre en place des dispositifs visant à protéger les poissons. De ce fait, il s’investissent aussi pour protéger les écosystèmes, la qualité de l’eau et finalement l’ensembles des êtres vivants. La génération spontanée a connu des temps où garder un panier de truites, « faire un plat », n’avait rien de choquant. Mais, l’altération des habitats a grandement contribué à la raréfaction des poissons dont les truites. Aujourd’hui, l’appareil photo ou le téléphone portable a remplacé le panier, le moucheur partage des photos plutôt qu’un plat de truites.

Dans certains pays le tourisme pêche généré par la Mouche ou d’autres techniques de pêche sportives génèrent une économie bien plus durable et valorisante que l’exploitation des ressources naturelles qui aboutit souvent à l’épuisement de populations de poissons et à la destruction d’habitats. Certes, il ne s’agit pas de missions humanitaires, le tourisme pêche n’est pas exempt d’impact surtout s’il faut parcourir de grandes distances en avion. Toutefois il est très probable que cette activité permette de maintenir des villages en vie dans des contrées reculées tout en permettant aux habitants de vivre mieux d’une activité respectueuse de leur environnement.

4°) L’art de la pêche à la mouche !

Chacun fait avec ses moyens et son habilité mais il y a derrière chaque moucheur une véritable sensibilité artistique. Rien que la confection des mouches nécessite une certaine dextérité pour déguiser un hameçon avec du fil, des plumes ou des poils. Il y a ceux pour qui l’observation fait émerger l’inspiration et qui à force d’exercice composent une mouche avec différents matériaux pour lui donner un aspect plus ou moins réaliste. Le montage de mouche, « Fly Tying » en anglais, est un véritable art. Les monteurs les plus chevronnés sont capables de réaliser des mouches d’un réalisme époustouflant.  Sans rechercher absolument la ressemblance, les moucheurs créent de très nombreux modèles, de formes et de couleurs très variés.

Lancer une mouche est également un art ! La maîtrise de la gestuelle, qui permet de lancer une mouche à l’aide d’une canne et d’une soie, est aussi sportive qu’esthétique. L’affiche du film « Et au milieu coule une rivière », avec le pêcheur qui fait voltiger la soie en l’air, est devenue une sorte d’image d’Epinal de la pêche à la mouche. Il est vrai qu’une soie qui se déploie au dessus de l’eau, qui se pose sans un bruit, a quelque chose de poétique. Alors, même s’il n’est pas utile de lui faire passer dix fois la soie au dessus du nez pour prendre un poisson, le pêcheur à la mouche peut prendre plaisir à travailler sa gestuelle pour former de belles boucles de soie.

Dessinateurs, sculpteurs, écrivains, photographes, peintres… tous les moucheurs n’ont pas vocation à être des artistes complets, mais il y a parmi ces passionnés des artistes qui excellent aussi bien dans l’art de ferrer une truite avec une plume que de faire mouche auprès des pêcheurs avec leur plume.

5°) Les tics et les tocs des moucheurs.

Comme un enfant privé de jeu, un moucheur enfermé à la maison risque de devenir rapidement insupportable ! Un atelier bien rangé, c’est presque le signe d’un moucheur malade… En général, l’étau est entouré de plumes, de poils, de bobines de fil et bien d’autres matériaux parfois entremêlés. Il y a bien quelques moucheurs maniaques qui consacre autant de temps à monter des mouches qu’à ordonner leur matériel de manière très méticuleuse. Si l’atelier de montage de mouches est dans une pièce dédiée à la sainte passion, c’est probablement un temple de pêche à la mouche. Pas d’odeur d’encens, l’odeur de la naphtaline qui empêche les mites de dévorer les plumes sera probablement celle qui vous piquera d’abord le nez. En parlant de piquer, faites attention où vous marchez en regardant les photos de poissons, un hameçon perdu ne l’est jamais vraiment, il finit toujours par ressortir et c’est rarement le principal intéressé qui le découvre.

Un bureau avec des tiroirs remplis de boîtes, de plumes, de poils, de pochettes de toutes les couleurs est la marque d’un moucheur bien installé ! Dans le garage, on peut trouver des tubes de canne ou des cannes savamment alignées, un gilet de pêche suspendu sur un cintre, il est souvent assez lourd. La veste de pluie est à côté et là une silhouette presque humaine se dresse dans un coin de la pièce. N’ayez pas peur, c’est un wader ! Il ne s’agit ni d’un bandit, ni d’un voisin pendu dans le garage, les waders sont mieux stockés lorsqu’ils sont suspendus dans un endroit sec et le moucheur soigneux fait sécher son attirail sans vouloir effrayer qui que ce soit. Si vous trouvez que cela sent le poisson, c’est probablement le filet de l’épuisette qui sèche dans un coin, heureusement, les filet synthétiques de dernière génération ont réglé ce problème.

Des waders suspendus à l’extérieur fond moins peur que dans le garage !

Dans la voiture (de pêche ou pas), il est bien rare de ne pas trouver une casquette de pêche qui traîne et des mouches piquées dans la moquette du coffre ou à côté du pare soleil ! Sur la voiture, il n’est pas rare de trouver un autocollant de marque de pêche. En promenade, un moucheur tournera systématiquement la tête lorsqu’il passe sur un pont, même au dessus d’une voie ferrée… on ne sait jamais, il y a peut-être un poisson qui gobe !

Le moucheur est un lève tôt, enfin presque ! La pêche à la mouche n’est pas la technique qui nécessite de se lever le plus tôt. Lorsqu’il s’agit de l’ouverture de la truite ou de retrouver des copains à 1 ou 2 h de route, ce moucheur qui peine à se lever pour aller au bureau, trouve une énergie formidable pour sortir du lit aux aurores le week-end. A la pêche, il est difficilement joignable ! Il est aussi vrai que les coins de pêche sont souvent mal couvert par le réseau téléphonique, mais une fois au bord de l’eau, plus rien ne doit venir interférer.

S’il donne une heure de retour, elle est tout à fait approximative ! La perte de notion du temps affecte bon nombre de moucheurs mais ne leur en tenez pas trop rigueur. Il vaut mieux qu’ils rentrent un peu plus tard et heureux, qu’à l’heure mais de mauvais poils pour entendre « Je suis parti quand ça commençait à mordre ! » Dans ce cas, le moucheur peut sembler bien triste et finir sa journée terré dans son atelier.

6°) La « Mouche connection ».

La communauté des moucheurs est très structurée depuis des siècles. Elle traverse les âges avec ses clubs plus ou moins fermés, ses structures fédérales nationales et internationales. Pas de confrérie de « l’archi pêche en sèche » mais de très nombreuses organisations officielles, ou non, où les moucheurs échangent sur différents sujets, parfois très liés à l’environnement.

Sur Internet, les forums ont connu leur heure de gloire avant la globalisation de l’utilisation des réseaux sociaux (et leurs dérives). Que ce soit au sein de club, un groupe d’amis, une structure nationale ou internationale, les pêcheurs à la mouche aiment se rassembler pour parler de tout et de rien. Ces passionnés ont des sujets de discussions bien plus vastes et philosophiques que vous ne le soupçonnez. Le choix de la bonne plume pour monter une « peute », la couleur de la soie de montage pour réaliser la mouche d’Ornans parfaite. Les histoires de pêche engendrent des discussions sans fin que seuls les moucheurs comprennent, mais maintenant, vous avez les bases !

Alors si pour vous la pêche à la mouche est une passion naissante ou si vous êtes déjà moucheur ou moucheuse, cultivez votre passion à travers ces multiples facettes. Si vous partagez la vie de l’un de ces spécimens vous pourrez vous rendre compte qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé…

J’espère que j’aurai réussi à vous éclairer sur la culture Mouche en vous donnant le sourire !

Florian CARAVEO

6 réflexions sur “Culture Mouche : les codes des moucheurs”

  1. Ping : Portrait de moucheur : Jérôme Poirier - So MoUCH

  2. Superbe Florian ! C’est un vrai plaisir de te lire. Tout est excellemment écrit. Bravo. Et au plaisir de se recroiser au bord de l’eau. Très amicalement.
    Christian

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